Est-ce un réel cadeau que d’offrir son livre ?

Nous, auteurs, pouvons-nous offrir en cadeau NOTRE livre à des amis ?

Ça y est : après tant de souffrances, de doutes, de peines, de demi-tours, d’abandons, de retours, et de persévérance, NOTRE livre est enfin sorti ! Que la Terre entière nous lise, nous apprécie, nous reconnaisse à notre juste valeur — enfin, surtout à la valeur à laquelle nous nous estimons, mais ceci est un autre débat. Pour le moment, il nous faut trouver des lecteurs. En plus des circuits traditionnels et anonymes de distribution, il y a notre famille, nos amis, nos connaissances : alors, pouvons-nous leur offrir NOTRE livre ? Nous croyons sincèrement leur faire un cadeau, un beau cadeau d’encre et de sang, pour lequel nous attendons déjà un remerciement démesuré à la réception de celui-ci : « Oh merci, quel beau cadeau ! Je voulais justement te l’acheter. » Ah ! Zut : une vente de loupée…

Et notre ami, après nous avoir demandé une dédicace que nous rédigeons avec fierté sans faute d’orthographie, le met de côté pour « ce » moment où il pourra le lire, l’apprécier, se régaler, nous féliciter et surtout se plaindre avec nous de son manque de succès, ajoutant que les médias ne savent pas ce qu’ils manquent… Ça, c’est le scénario idéal, mais qu’en est-il en réalité, quand nous retrouvons notre ami, quelques jours plus tard, chez lui, et que nous cherchons du regard NOTRE livre. Mais où est-il donc ?

Souvent, au même endroit où il fut posé il y a quinze jours, un peu de poussière en plus sur la couverture.

Et quand nous le regardons avec cette insistance qui en dit long sur notre ressenti, notre ami, qui s’en rend compte, précipite ses paroles pour nous rassurer : « Oui, je n’ai pas eu le temps, mais je vais le faire, sois rassuré. En tout cas, j’ai lu quelques pages, c’est bien écrit… J’en ai parlé autour de moi, tu sais ? ». Car, le plus étonnant, c’est que sans l’avoir lu, c’est lui qui en parle le mieux auprès de ses propres amis. Évidemment que nous n’avons qu’une envie, c’est qu’il en parle, mais surtout à nous, et tout de suite ! Notre ami sait que nous n’attendons que ça, mais, voilà, il ne l’a pas lu, sauf la première page de la dédicace et il culpabilise : « Normalement, j’ai prévu la semaine prochaine de m’y mettre, ne t’inquiète pas ».

Si, justement, nous nous en inquiétons.

Bien sûr, il y a ceux qui vont vraiment le lire, NOTRE livre, mais qui ne vont pas l’aimer, parce qu’il n’est pas de leur goût — ce qui n’est pas si grave et finalement légitime — ou parce qu’il est — ça, c’est le pire ! — loin d’être un chef-d’œuvre, option que nous n’avions pas envisagée. Il y a aussi ceux qui vont l’aimer, tout court, mais qui ne sauront pas en parler, par peur, timidité, incompétence ! Ce n’est pas leur truc, quoi !

Bref, la critique s’annonce douloureuse…

Offrir NOTRE livre est un cadeau qui peut empoisonner la relation que nous avons avec notre ami. Lui donner, c’est l’obliger à lire et l’obliger à l’apprécier, car seule une critique positive est espérée. C’est le contraindre à en parler tôt ou tard et cela peut même être une torture pour lui. Lui demander son avis ressemble à un viol de sa pensée, d’autant qu’il sait qu’il va devoir peut-être mentir. Et nous contenterons-nous d’un « Tu sais, je ne suis pas critique, mais il est bien, non, vraiment bien » ? Lui offrir NOTRE livre, c’est comme lui demander : « Alors, tu as aimé, hein ? ». Que peut-il répondre d’autre que oui, puisqu’il est notre ami, hein ?

Certes, ce n’est peut-être pas comme ça que cela se passe à tous les coups, mais il y a un réel risque, car un ami n’est pas forcément un lecteur !
NOTRE livre doit recevoir ce qu’il mérite, de la façon la plus naturelle possible, et il ne faut rien attendre en retour de ceux à qui on l’a donné. Quel plus beau compliment qu’un « J’ai acheté ton livre, je me suis régalé » venant d’un ami — d’un lecteur — qui a fait la démarche seul de nous lire. Alors, laissez votre ami faire un pas vers vous, vers vos mots et n’attendez rien de lui, sinon une surprise, quand il l’aura décidé.

Pour ma part, je n’offre pas MON livre sinon à des journalistes, ces personnes que je veux contraindre à m’apprécier ; aux libraires, ces personnes que je veux contraindre à m’inviter, mais pas — plus — aux personnes que je veux contraindre à m’aimer, car l’amour a ses raisons que ma raison d’écrire ne peut pas toujours atteindre…

Qui m’aime me lise, de son plein gré !

Thierry Brayer

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